Pour l’égalité et la laïcité : contre le burkini.

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Ce texte, écrit au printemps 2022 par des élus de la majorité opposés à la volonté du maire d’autoriser le port du burkini dans les piscines municipales de Grenoble, constitue un fondement de notre mouvement politique. Il s’oppose à la modification du règlement intérieur adoptée lors du conseil municipal du 16 mai 2022, qui permettait le port du burkini, en réponse aux revendications de l’Alliance Citoyenne. Ce règlement a été suspendu définitivement le 21 juin 2022 par le Conseil d’État, qui a estimé qu’il « ne visait qu’à autoriser le port du burkini afin de satisfaire une revendication de nature religieuse ».

À l’époque, plusieurs membres de ce qui deviendra le Camp de Base Citoyen se sont mobilisés contre l’autorisation du burkini en lançant une pétition, largement soutenue par les Grenoblois et de nombreuses personnalités. Nous revendiquons aujourd’hui pleinement cette démarche, que vous pouvez retrouver ici avec les contributions associées.

Résumé

Ce texte, lu par Amel Zenati, dénonce une décision d’Eric Piolle qui divise la société, qui divise les responsables politiques, et qui divise la majorité municipale, alors que cette décision n’a jamais été inscrite dans le mandat initial du Maire.
Pour ces élus opposés au projet d’autorisation du burkini, il symbolise un contrôle patriarcal et identitaire contraire aux valeurs d’égalité et d’émancipation. Ils évoquent aussi les difficultés pour les agents municipaux chargé de l’application du nouveau règlement, et appellent plutôt à lutter contre les discriminations quotidiennes et à privilégier l’unité et l’apaisement.

Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élu.es
Chers Grenobloises et Grenoblois,

Cette délibération suscite depuis des semaines des débats souvent caricaturaux se focalisant sur un seul et unique aspect de ce qui est soumis à notre vote ce soir : le port d’un maillot de bain couvrant auquel on confère un caractère religieux.
Ce sujet divise. Il divise dans la société. Il divise parmi les responsables politiques. Il divise au sein de la gauche. Il divise jusqu’au sein-même de notre majorité municipale.

Nous sommes ainsi, un nombre significatif des élu.es du groupe « Grenoble en commun » à exprimer un vote « contre » cette délibération. En effet, et quand bien-même nous sommes favorables à beaucoup d’avancées contenues dans ce nouveau règlement intérieur, notamment du point de vue de l’amélioration des conditions de travail de nos agents, nous ne pouvons qu’être en désaccord avec la rédaction de son article 10 et ce que cet article implique.

Nous n’avons pas le sentiment, ici, de nous déjuger du mandat que les électeurs nous ont confié. En effet il n’a jamais été fait mention de cette question dans le projet de « Grenoble en Commun ». Un désaccord traverse aujourd’hui l’arc humaniste que nous avons su rassembler en 2020, et qui doit perdurer dans le respect des sensibilités de chacun.

Avant toute chose, nous souhaitons rassurer toutes celles et ceux qui s’interrogeraient sur notre démarche : nous ne sommes ni frondeurs ni dissidents mais des élu.es locaux, dans une majorité soucieuse de garantir les intérêts moraux de leur Ville et du vivre ensemble, sans stigmatisation, dans le respect de toutes et tous.

Nous ne sommes ni des islamophobes, ni des laïcards, et encore moins des individus en proie à un égarement intellectuel et philosophique qui nous rendraient vulnérables à la « lepénisation des esprits », ou à quelque « injonction patriarcale » que ce soit.
Nous n’avons rien de commun avec les discours abjects de l’extrême-droite, qui cherche à faire de nos compatriotes de confession musulmane la source de tous nos maux.
Nous n’adhérons pas aux dérives des thuriféraires du gouvernent actuel, qui détournent le concept de laïcité, et sa définition, afin de pointer un ennemi de l’intérieur sur fond de délire « séparatiste ».

Loin de tout manichéisme, nous souhaitons ici exprimer nos convictions, en invoquant la clause de conscience prévue dans la charte de notre groupe. Parce que la question qui est en débat aujourd’hui touche à l’intime de notre vécu, de nos croyances, de nos convictions philosophiques et spirituelles. 
Ce qui nous préoccupe aujourd’hui n’est pas la liberté donnée aux femmes de paraître seins nus dans nos piscines municipales.

Nous savons tous ici que le débat se focalise sur ce qu’on appelle communément le burkini.
Le burkini n’est pas un signe religieux, même s’il est candidat à le devenir, voir à devenir le symbole identitaire de courants de l’islam politique. Le burkini est devenu en réalité un instrument, ici promu par celles et ceux qui détournent l’Islam vers un cadre politique.
Que le port du burkini puisse être librement consenti ne suffit pas à justifier son autorisation. Que le port du burkini soit revendiqué par des militantes qui se disent féministes, n’enlève rien au fait qu’il soit le résultat d’une injonction patriarcale.
C’est d’ailleurs une pratique courante du patriarcat que de faire porter son injonction de domination sur les femmes, par les femmes elles-mêmes.

Rappelons-nous les débats et les campagnes d’opposition au droit de vote des femmes, dans les différents pays européens, rappelons-nous les arguments portés par les femmes, au nom du séparatisme des rôles femme-homme, au nom de la division biologique des sexes, au nom de la répartition des compétences et des sphères de la vie, ou encore, au nom du fait que la politique divise les hommes et que les femmes doivent rester unies.
Les militantes pro-burkini nous disent qu’elles veulent pouvoir être libres de se couvrir en raison de leur pudeur. Mais la question du consentement dans les rapports de domination femmes-hommes nous interroge et est interrogée par les mouvements féministes. En l’occurrence, dans le cadre du système de domination patriarcal ça ne devrait pas nous interroger ?

Même si nous émettions l’hypothèse que les militantes pro-burkini sont conscientes du rapport de domination dans lequel elles évoluent ; Qu’en sera-t-il demain pour les autres, ces filles, ces adolescentes, ces femmes, qui se verront imposer cet enfermement ?

Qu’en sera-t-il demain pour les femmes qui sont libres aujourd’hui de fréquenter les piscines de Grenoble, de fréquenter nos piscines librement, sans être enfermées dans un cadre identitaires, sans être enfermées dans le besoin d’affirmer ce cadre, une appartenance ou une foi ? Qu’en sera-t-il de ces femmes ?

L’argument de la pudeur ne manque pas non plus de nous interroger, car si porter un burkini est érigé en symbole de la pudeur, que symbolise le port des autres maillots pour les femmes ?
Y-aurait-il une échelle de la pudeur qui serait fonction de la surface de peau couverte ou découverte ?
Y-aurait-il les femmes pudiques et respectables en burkini et toutes les autres dont les tenues seraient impudiques ?
Nous savons ici que ce n’est pas le cas, et savons aussi à travers l’histoire des tenues de baignade que les maillots de bain (une pièce, deux pièces, bikini ou monokini) portés de nos jours, sont la résultante de la lutte des femmes contre l’injonction patriarcale teinté de puritanisme religieux.

Qu’en sera-t-il demain de la pression qui sera exercée au titre de la pudeur, sur les familles, et au sein des familles sur les filles, les adolescentes et les femmes ?
Pensez-vous réellement que des dispositifs d’aide juridique feront le poids face à la pression du qu’en dira-t-on, face au jugement moral qui ne manquera pas d’être portée sur ces femmes impudiques ?

Ignorez-vous ce que subissent déjà aujourd’hui les jeunes filles et les femmes selon la façon dont elles s’habillent ?

Que dirons-nous à cette jeune femme, aujourd’hui libre de paraître en maillot 2 pièces, le bikini dans nos piscines sans qu’on puisse lui faire le reproche de pouvoir faire autrement et qui, aperçue ainsi vêtue par sa grand-mère, sa tante, une amie ou une voisine quelconque, se verra ensuite faire le reproche, dans sa cellule familiale, de ne pas avoir porté un accoutrement sensé respecter des préceptes religieux ?

Il ne vous aura pas échappé que nous ne vivons pas dans un monde dénué de rapports de force et exempt de rapports de domination. Si tel était le cas nous n’aurions pas ce débat aujourd’hui.

Nous voyons bien que derrière cette volonté d’étendre l’égalité d’accès au service public des piscines, en intégrant cette revendication identitaire du port du burkini, nous ne faisons rien d’autre que renforcer un système patriarcal particulier au sein d’une société qui est loin d’avoir atteint le stade de développement ultime de l’égalité des droits.

Ne faisons pas semblant d’imaginer qu’il s’agit ici d’une revendication largement partagée,
ne faisons pas semblant de croire que cette conception d’un Islam rigoriste et politisé ne fait pas débat, nous le savons, c’est un fait, il divise les musulmans en France et ailleurs dans le monde.

Ne faisons pas semblant d’imaginer que l’Islam est une religion monolithique, il y a de multiples façons de vivre l’Islam. Nous distinguons clairement ce qui est porté par l’Islam et ce que représente l’islam politique de nos jours.

Ne faisons pas comme si l’interdiction du burkini était une discrimination à l’encontre des femmes de confession musulmane, ce n’est pas le cas, le burkini est, par contre, l’introduction d’une discrimination importante entre les femmes et les hommes et entre les femmes elles-mêmes.

D’ailleurs qu’en est-il des hommes ? Le fait de paraître torse, nuque et cheveux découverts dans une piscine serait-il foncièrement moins impudique pour un homme que ça ne l’est pour une femme ?

Au nom de quelle règle biologique certains comptent-ils motiver cette distinction entre les sexes ?

Nous voyons ici toute l’hypocrisie des promoteurs du port du burkini : sous couvert de dénoncer l’injonction patriarcale, ils cherchent en réalité à rendre visible le fait que, du point de vue de leur interprétation rigoriste de leur religion, les femmes n’ont pas à avoir un statut égal à celui des hommes dans la société.

Est-ce vraiment le rôle de notre conseil municipal, à travers son règlement intérieur des piscines, de s’octroyer le pouvoir d’arbitrer les rapports de force à l’œuvre dans les différents courants de l’Islam et de l’Islam politique, sur le contrôle du corps des femmes ?

Avons-nous mandat pour faire cela ? Avons-nous la légitimité pour cela ?

Du point de vue de sa mise en œuvre concrète, ce nouveau règlement intérieur des piscines n’est en réalité porteur ni d’apaisement ni de clarification, mais de questions nouvelles pour les agents des piscines. Car il n’y a pas de tenue de référence, à caractère officiel, pour caractériser précisément ce qu’est un burkini.

La société de consommation s’accommodant fort bien des revendications des milieux conservateurs, plusieurs grandes marques de vêtement proposent aujourd’hui diverses tenues, dont aucune n’est identique à l’autre.

Cela promet de périlleux exercices pour nos agents :

  • Sur la jupette mentionnée dans l’article 10 ou plus exactement les tenues près du corps et/ou non près du corps plus longue que la mi-cuisse :
    Qui va être en charge de vérifier si la jupette en question ne dépasse pas la mi-cuisse comme stipulé dans le règlement ? Les agents des piscines devront-ils se munir d’un mètre, à l’image des policiers de l’Amérique puritaine du siècle dernier qui arpentaient les plages pour mesurer les maillots de bains des femmes ?
  • Comment allons-nous traiter la question des sous-vêtements portés sous les burkinis ?
    L’article 10 les interdit, cependant quels seront les moyens de vérifier que les femmes ne portent pas leur soutien-gorge sous leur burkini ? qui s’en chargera ?
  • Dans quelle mesure la responsabilité de l’institution pourrait-elle être engagée si une noyade survient dans l’un de nos bassins parce qu’une personne portant un vêtement intégral gorgé d’eau n’aura pas pu être sortie du bassin à temps ?

Certains indiquent que le règlement actuel est discriminant. C’est leur point de vue. Alors nous invitons celles et ceux qui pensent cela à agir en justice pour déterminer si ce règlement l’est réellement du point de vue du droit.

C’est à la justice de dire le droit et à elle seule. Si cette action pour lutter contre les discriminations avaient été engagée et que la justice avait jugé ce règlement intérieur discriminant, alors il y aurait eu jurisprudence et ainsi l’ensemble des villes de France auraient dû modifier leur règlement de manière à se conformer à loi.
Si le jugement avait mentionné une absence de discrimination alors notre règlement intérieur n’aurait pas été modifié et nous aurions évité bien des difficultés. C’était pour nous à la justice de trancher et de dire le droit et non à la ville de Grenoble.

Monsieur Le Maire, Mesdames et Messieurs les conseillers municipaux, nous sommes convaincus comme vous que nos concitoyennes et concitoyens souffrent de nombreuses discriminations et nous le constatons chaque jour en échangeant dans les nombreux quartiers de notre ville : discrimination au niveau de l’emploi, discrimination au niveau du logement, discrimination tout simplement d’accès aux droits…

Nous sommes convaincus que ces discriminations impactent le quotidien de nombreux grenobloises et Grenoblois et que nous devons mettre notre énergie sur ces éléments plutôt que sur un sujet comme le burkini qui fracture notre société, qui divise notre majorité, qui stigmatise une communauté en faisant le jeu de l’extrême droite et qui ne concerne qu’une minorité de personnes au sein-même de cette communauté.

Une grande partie de la communauté musulmane nous dit avec force que ce sujet ne les intéresse pas, qu’ils sont lassés de ces polémiques, qu’ils veulent juste vivre tranquillement et qu’on mobilise notre énergie sur les sujets du quotidien pour améliorer leur qualité de vie.

Monsieur le Maire, Mesdames et Messieurs les conseillers municipaux ne nous trompons pas de combat, retrouvons le chemin qui nous permette d’agir pour le quotidien des Grenobloises et Grenoblois, le chemin de l’apaisement et de la réconciliation, celui qui donne un espoir à la gauche et qui fait la fierté de notre territoire.

En conclusion, vous l’aurez compris nous considérons que l’autorisation du port du burkini n’est ni un progrès social, ni un instrument d’égalité et d’émancipation, mais un instrument de contrôle du corps des femmes dont la revendication est orchestrée par un système patriarcal qui émane d’un courant religieux fondamentaliste et politisé.

Nous rappelons que rien, aucun texte, aucune règle ne contraint les femmes de confession musulmane à dissimuler leurs cheveux, leur visage ou leur corps pour vivre et respecter leur foi. Cette réalité ne doit pas être passée sous silence à l’occasion de ce débat.
De plus, nous considérons que ce nouveau règlement intérieur n’est pas applicable par les agents municipaux.

C’est pourquoi, dans le respect de la diversité des positions des membres de notre groupe politique, nous voterons CONTRE cette délibération.
Et connaissant votre engagement contre le système patriarcal et pour l’égalité entre les femmes et les hommes, tout comme votre attachement aux conditions de travail des agents municipaux, nous vous appelons, Mesdames et Messieurs les conseillers municipaux à faire de même.