De l’inspiration à la bureaucratisation
À partir des années quatre-vingt-dix, la politique culturelle grenobloise a progressivement perdu son inspiration et son dynamisme. Les deux mandats de la municipalité de Piolle ont accentué ce phénomène : les acteurs culturels et artistiques ont progressivement été soumis à une logique administrative.
L’essoufflement de la politique culturelle a révélé les rapports complexes entre l’art et l’action culturelle ; entre la responsabilité de l’État et celle des collectivités locales ; entre les publics dans leur différentiation sociale et la population… L’État ayant renoncé à lutter contre les inégalités culturelles qui venaient amplifier les inégalités sociales et la fragmentation de la société française, c’est l’idée même de démocratisation culturelle — par le biais de l’accès aux œuvre légitimes —, qui s’était fossilisée.
Les Verts au pouvoir : une (re)définition controversée de la culture à Grenoble
À Grenoble, en 2014, l’arrivée au pouvoir des Verts, s’est exprimée dans l’intitulé même de la délégation : la fonction d’adjoint à la culture, devenait celle d’adjoint “aux cultures”. Pour de nombreuses organisations d’éducation populaire, en grande fragilité institutionnelle et financière, la première mesure aurait dû être celle de la fin de la séparation, instaurée en 1959, avec la naissance de la Ve République, entre culture et éducation populaire.
Les élus Verts, sous l’autorité du Maire, Eric Piolle, ont maintenu, au plan de l’organisation municipale, la distinction entre culturel et socio-culturel. Il y avait là une sorte de “péché originel”. En 2020, une fois réélu, Éric Piolle avait exprimé, par la voix de sa déléguée aux cultures, sa volonté de poursuivre la politique culturelle du mandat précédent. Pour cette dernière, la politique culturelle est « l’apanage des élus » et non de ceux qu’elle appelle, dans son langage technicien, des “opérateurs” (artistes, gestionnaires des équipements, programmateurs…).
La subordination de l’art au Politique
La subordination de l’artistique aux objectifs du Politique est la négation même de l’autonomie de la pratique artistique. L’art et la culture n’ont pas vocation à répondre directement à la régulation sociale : ils représentent des modes d’activités qui permettent à la personne de se situer dans l’univers des formes et des relations sensibles. Notre société est l’objet de fragmentation culturelle ; elle offre de moins en moins d’espace de socialisation.
À une rationalité technique et administrative, il faut ajouter une conscience sensible. La fonction des artistes, et des acteurs culturels qui les accompagnent dans les diverses médiations, est aussi de participer à la mise en dialogue des pratiques artistiques. C’est la responsabilité du Politique que de créer les conditions d’une synergie du culturel et de l’éducation populaire.
Réconcilier diversité culturelle et justice sociale
Les enjeux d’aujourd’hui — pour les Verts comme pour les autres — se posent à l’aune de la segmentation de la société, de la crise sociale qui est celle du travail, du système inégalitaire de l’École, de la diversité culturelle, du métissage des langages artistiques, du dialogue entre les cultures… Reconnaître ces enjeux implique que la délibération se substitue au slogan et l’attention sensible au jugement idéologique.