Cet article, en trois parties, prolonge les articles de Alain Lecomte et ceux de Benoît Thiebergien. Les premiers examinent la place de la culture dans le débat politique ; les seconds développent une réflexion sur la politique culturelle de Grenoble à partir des relations entre institutions, artistes et citoyens.
Ma contribution tente de faire le lien entre ces deux séries d’articles. Elle envisage une démarche qui substitue à l’approche idéologique et administrative des deux mandats de la municipalité dirigée par Eric Piolle, une démarche de projet visant à articuler pratiques artistiques et culturelles et éducation populaire. Cet objectif implique une unification des délégations relatives à la culture et au socio-culturel dans la gestion de la municipalité. La concrétisation de ces différentes contributions peut représenter l’armature d’un programme culturel pour la prochaine mandature.
Partie 1 – Définir le sens d’une politique culturelle dans son contexte social
Partie 2 – Une perte de sens
Partie 3 – Échec ou succès de la démocratisation culturelle ?
Le passé n’éclairant plus l’avenir
aphorisme de Tocqueville cité par Hannah Arendt,
L’esprit marche dans les ténèbres
dans la préface de son livre, La crise de la culture.
Pour comprendre la nature des questions qui se posent, aujourd’hui à Grenoble, sur le plan de d’une politique culturelle locale, il est nécessaire de rappeler brièvement les justifications historiques relatives à l’émergence de la compétence culturelle de L’État (1959) au début de la Ve République. À savoir : « Accompagner le développement économique et industriel par une compétence d’intervention sur l’accès au patrimoine, aux œuvres, et à la création ». Une dizaine d’années plus tard, avec la décentralisation, une partie de cette compétence a été partagée avec les collectivités locales.
Définir le sens d’une politique culturelle dans son contexte social
La mise en contexte est un préalable pour construire une politique nouvelle qui réconcilierait les acteurs artistiques et les » politiques » et qui ouvrirait des perspectives à une démocratie culturelle respectueuse des droits culturels des personnes.
Les débats, à Grenoble, relatifs à l’art et à la culture, dans les cinquante dernières années se sont le plus souvent posés à partir de la place et de la fonction structurante de la Maison de la culture (inaugurée en 1967) dans l’environnement local, départemental et régional. Les thématiques, plus ou moins explicitées, relevaient des rapports entre la création artistique, qu’elle soit théâtrale, chorégraphique ou musicale, et les diverses missions de service public : diffusion des spectacles ; sensibilisation à l’art ; animation et médiations opérées par les pratiques culturelles et celles de l’éducation artistique…
Ce qui était en jeu, et qui le demeure dans de nouvelles conditions, concerne les rapports complexes entre l’art et l’action culturelle ; entre la responsabilité de l’État et celle des collectivités locales ; entre les publics dans leur différentiation sociale et leurs inégalités.
La décentralisation culturelle, engagée au milieu des années soixante-dix avec les villes moyennes, ainsi que la richesse de la vie culturelle grenobloise ont nourri les débats dans l’espace public. La dimension de laboratoire – sur le plan des pratiques sociales, urbaines, éducatives, sanitaires… – acquise par Grenoble, avec la municipalité de Hubert Dubedout – permet de comprendre comment les questions culturelles ont interpellé les responsabilités des acteurs politiques. Sans d’ailleurs que leurs réponses aient été à la hauteur des exigences. Ces questions émergentes à Grenoble se sont posées dans bon nombre de villes moyennes avec un décalage, aussi bien dans le temps que dans l’intensité.
Dans la sphère du politique, la signification et la fonction attribuées à la culture demeurent écartelées entre, d’une part, une conception étroite qui réduit son domaine à la production, la diffusion et la réception des œuvres artistiques et, d’autre part, à une approche fragmentée qui la décline selon des catégories « molles », définies à partir des goûts, des habitudes et des comportements des individus : culture de masse, populaire, élitaire, musicale, numérique, etc.
Depuis plus de trois décennies, les pouvoirs publics, les partis politiques et les organisations syndicales ne voient plus guère dans le phénomène culturel le lieu de l’accomplissement d’un destin collectif ; le moyen de la construction de la personne dans une relation à l’Autre ; l’occasion d’une émancipation individuelle et collective, ainsi que le tissage de liens d’appartenance à la Cité. Ces problématiques ne peuvent plus se poser dans le seul horizon des grands équipements artistiques. Elles ne peuvent apporter des réponses que dans une responsabilité de la politique municipale qui articulerait pratiques artistiques et reconnaissance de l’éducation populaire.