(RE)FONDER LA POLITIQUE CULTURELLE À GRENOBLE – Démocratisation culturelle (3/3)

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Ce texte en 3 parties est une réflexion – alternative à l’approche idéologique et administrative des mandats précédents – pour construire un projet municipal proposant un lien entre culture et éducation populaire.

Partie 1 – Définir le sens d’une politique culturelle dans son contexte social
Partie 2 – Une perte de sens
Partie 3 – Échec ou succès de la démocratisation culturelle ?

Échec ou succès de la démocratisation culturelle ?

Lorsque l’État inscrit la culture dans ses compétences, avec la V République, et fait d’elle une composante de sa politique, il envisage la culture comme un ensemble de biens et d’œuvres artistiques. Dès lors, André Malraux, ministre des Affaires culturelles, par le décret de juillet 1959, vise à :





« Rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France au plus grand nombre de Français ; a assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et à favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »

Cette ambition légitime qui rompt avec une vision élitaire de la culture est confiée à un ensemble de dispositifs et de moyens qui constituent les processus de démocratisation culturelle. Celle-ci a pour objectif de prolonger la démocratisation de l’École engagée au début du XXe siècle.

Cette dernière a certes fait progresser la société durant tout au long du siècle, mais elle n’a guère réduit les inégalités sociales, si ce n’est à la marge en permettant aux plus méritants des classes défavorisées d’accéder aux responsabilités sociales et politiques.

Et pour ce qui est de la démocratisation culturelle, la question n’est pas de savoir si elle a été un succès ou un échec. Elle a transformé le visage du pays en modifiant le rapport Paris/Province à travers la décentralisation culturelle, et l’exemple de Grenoble est, parmi d’autres, une manifestation de ces effets. Elle a élargi le « cercle des connaisseurs » (expression de B. Brecht) et des praticiens des activités artistiques. Elle a eu l’immense mérite de mettre en évidence la fonction jouée par les œuvres d’art et les phénomènes de réception sensible dans la structuration de la culture. La démocratisation culturelle a également eu pour effet de montrer qu’il est difficile de :

 « penser l’art, la culture sans une pensée de l’art, de même qu’il n’est plus possible d’envisager l’art sans le considérer en fonction d’une culture, des attentes, des normes et des processus qui le font circuler dans l’espace public ».1

La myopie vis-à-vis des résistances sociologiques, le déni des inégalités culturelles, l’insensibilité aux violences symboliques… se sont manifestées, en particulier, dans la rupture entre le socio-culturel et culturel, institutionnalisée par André Malraux, à la naissance de la V République2.  Et c’est en cela que le processus de démocratisation culturelle – limité à l’accès aux œuvres d’art – a montré ses limites.

S’il faut s’interroger sur les limites de la démocratisation culturelle, il faut aussi se demander comment « L’art peut faire société » dans une réalité sociale inégalitaire. De même qu’il faut examiner les conditions pour que les pratiques culturelles puissent “Faire du commun” dans une société divisée et fracturée.

Ainsi, dans les dernières années du XXe siècle, des secteurs d’activités culturelles telles que l’Éducation populaire ou l’animation culturelle ont quasiment disparu des espaces d’identification institutionnelle pour être remplacés par des pratiques de communication donnant une large place aux innovations technologiques et à l’extension des réseaux sociaux.


  1. J. Caune, Formes artistiques et pratiques culturelles. Enjeux théoriques et politiques, L’harmattan. Logiques sociales, Paris, 2018, p.17. ↩︎
  2. J. Caune, « La démocratisation culturelle : une évaluation à construire », dans Les Notices, Politiques et pratiques de la culture, sous la direction de P. Poirrier, La documentation française, nouvelle édition 2015, p.-p. 17-21. ↩︎

Projet vers une démocratie culturelle

Pour “faire société”, il faut envisager les médiations multiples qui naissent et font vivre la culture dans son temps. Dans notre société, le travail n’est plus une activité garantie à tous ; la société est fracturée et les liens d’appartenance distendus. Dans notre société de diversité culturelle qui refuse, à juste titre, le multiculturalisme (la juxtaposition des communautés), une volonté de Vivre-Ensemble se heurte à la stigmatisation et/ou au repli.

Comment les pratiques culturelles et les formes artistiques peuvent-elles s’opposer aux réalités de la fracture sociale, de l’exclusion, de la ghettoïsation ?

La question de la démocratie culturelle se pose parce qu’il n’existe pas de voie toute tracée, et certainement pas par l’injonction administrative, pour construire les médiations entre les pratiques artistiques et la société. C’est à quoi doivent s’appliquer les Droits culturels. C’est également pour cette raison que la municipalisation des espaces artistiques et culturels va à l’encontre de la démocratie culturelle. La dimension politique de l’art ne se trouverait-elle pas dans le fait que « le sentiment esthétique suppose un accord avec autrui », comme l’affirmait la philosophe du politique, Hannah Arendt.

L’enjeu est de permettre à chacun de se construire et de se reconnaître, individuellement et collectivement, dans une relation sensible et active au sein de l’Espace public, conçu comme un espace de délibération. 

Un projet politique qui prend au sérieux l’art et la culture doit dépasser la séparation culture/éducation populaire et les fondre dans une démarche conjointe et transversale. En outre, le phénomène artistique ne peut être réduit au rapport à l’œuvre. Il importe de redonner à l’art, par l’action culturelle, sa dimension relationnelle – donc politique, au sens citoyen du terme. Il incombe à la puissance publique de construire les conditions d’un partenariat entre les équipes artistiques et les populations. Cela passe par un développement, à tous les niveaux du système scolaire, d’une véritable éducation sensible. Celle-ci ne pourra s’accomplir pleinement que dans le cadre d’un travail coordonné avec les réseaux de l’Éducation populaire qui doivent être revivifiés, par ailleurs.

Aujourd’hui, il est d’autant plus nécessaire de reconnaître la singularité des personnes que les grands récits ne fonctionnent plus comme repères collectifs et souches de références partagées. La classe sociale n’est plus le cadre de la prise de conscience du monde réel et du sentiment d’appartenance et de solidarité. Le développement de la notion moderne d’identité a donné naissance à une politique de la différence. Si chacun doit être reconnu en fonction de son identité singulière, le déni de reconnaissance peut être une forme d’oppression.

Un projet culturel pour le nouveau mandat doit mettre au centre de ces préoccupations :

  • La réconciliation, par le débat, entre acteurs culturels et acteurs politiques.
  • L’insertion dans la volonté de protection de l’environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique, des conditions culturelles de leur possibilité.
  • La reconnaissance des pratiques artistiques en amateurs dans la diversité des lieux où elle peut s’exprimer.
  • L’inscription d’une éducation artistique dans les activités de l’école primaire.
  • L’engagement à la collaboration entre équipements de proximité (Maison des habitants, espace social de vie, M.J.C., etc) et équipes artistiques.
  • La mise en place d’un conseil culturel de la jeunesse à l’écoute des pratiques des jeunes.
  • La relation confiante entre Ville et Métropole pour porter des projets artistiques qui dépassent l’horizon du paysage territorial…

Ce sont ces exigences que le Camp de base Citoyen s’engage à prendre en compte dans un rassemblement avec les forces citoyennes avec lesquelles il est aujourd’hui en dialogue. Ce sont elles que nous voulons mettre au centre d’un programme où culture et éducation populaire prendront toute leur place dans la protection de l’environnement, qui est aussi protection des relations humaines dans une société de diversité culturelle.