Je tiens à partager…
… à titre personnel, mes réactions aux discussions et au texte diffusé, après avoir assisté aux premières réunions du Camp de base Citoyen et de sa commission culture. Cette contribution se compose de deux parties : la première (ici) aborde la nécessité d’une politique culturelle et son rapport aux partis pris idéologiques, tandis que la seconde (à paraitre dans quelques jours) traite du rôle des médiateurs et de l’importance d’une participation active. Alain Lecomte
La nécessité d’une politique culturelle et son rapport aux partis pris idéologiques
Première remarque : quand on parle de la culture et de l’éducation populaire dans un cadre politique, on a tôt fait de se rabattre uniquement sur les aspects de gestion de la culture, affaires de subventions entre autres. C’est important mais cela ne doit pas occuper toute l’attention. Il faut savoir d’abord ce qu’on fait là, et pourquoi on le fait.
Doit-on avoir une politique culturelle ? La réponse me paraît être « oui ». Cette politique culturelle doit-elle être déterminée par les objectifs politiques généraux d’une liste ? La réponse me paraît être « non ».
C’est là un point qui peut considérablement nous différencier de la liste qui représente la majorité sortante à Grenoble. Il a été dit (au cours de la commission culture du Camp de base Citoyen) que la municipalité actuelle avait délibérément décidé de mettre la culture sous le boisseau de l’idéologie qu’elle a décidé de véhiculer, en l’occurrence ce qu’on peut nommer « l’écologie politique ». On peut respecter les objectifs d’une telle ligne politique tout en refusant que la ligne en matière de culture lui soit subordonnée. Il est toujours désastreux de demander à des créateurs de se conformer à une ligne idéologique.
Les gens de ma génération ont connu cela avec les lignes imposées par certains Partis Communistes dans les pays de l’Est. En France, si une volonté de domination de la part du PCF s’est à la même époque, manifestée, il faut reconnaître que malgré tout, dans ce cadre, les créateurs furent respectés et de grandes œuvres de l’art et de la culture purent voir le jour et surtout purent être acclamées par des publics nombreux. Il n’est pas admissible aujourd’hui que l’on songe à préférer une oeuvre à une autre parce qu’elle parlerait davantage de crise écologique, par exemple, ou parce qu’elle serait davantage ancrée dans le terreau local.
Qu’est-ce qui divise la culture ?
La ligne de démarcation qui traverse aujourd’hui la culture est celle qui sépare d’un côté les entreprises visant à développer les talents artistiques et littéraires et les créations collectives en matière de culture vivante, et de l’autre la culture marchande. Celle-ci emplit les canaux de distribution standard que sont les chaînes de télévision et les réseaux sociaux. Une œuvre est marchande quand elle est vue principalement sous l’aspect des profits qu’elle permet de dégager pour les entrepreneurs de « l’industrie de la culture » (au sens ici où l’entendaient Benjamin et Adorno). On peut aussi désigner cette opposition comme celle entre culture authentique (participative, créative etc.) et culture consommatrice. On ne saurait superposer cette distinction avec celle que l’on pose parfois entre culture populaire et culture « légitime », en entendant par là souvent les oeuvres culturelles du passé qui ont acquis un certain prestige avec le temps. Si parfois on peut constater l’existence de phénomènes de consommation de masse autour de ces dernières, elles s’en échappent le plus souvent. Admirer une cantate de Bach ou un oratorio de Noël ne coïncide pas avec une simple attitude de consommation. De ce point de vue, les notions introduites par Bourdieu en sociologie de la culture ont bon dos, il est facile de les détourner pour leur faire dire ce qu’elles ne disent pas, autrement dit pour frapper d’indignité la culture dite « légitime » ou « classique ».
Une culture de relation ?
La culture est toujours une « culture de relation » simplement parce qu’elle est déjà en soi relation. Elle met en relation les humains à partir de leurs exigences esthétiques, éthiques et spirituelles les plus élevées. Elle ne consiste pas à faire naître des relations à tout prix. Il y a des relations qui s’établissent indépendamment de la culture, et il y a aussi une culture qui s’installe en dehors de la relation : dans le silence de la lecture, par exemple. (D’où la nécessité absolue d’intégrer à nos préoccupations la question des bibliothèques, tellement maltraitées dans les deux mandats précédents, Grenoble 2014-2026).
Le meilleur moyen de lutter contre l’invasion par la marchandise du monde de la culture est de fabriquer non pas des consommateurs mais des producteurs. Affirmer que chacun est un créateur potentiel, que si on lui donne un minimum de codes, il pourra comprendre de l’intérieur les mécanismes de la création artistique ou théâtrale. De nombreuses expériences dans le milieu grenoblois nous permettent d’espérer réussir en ce domaine, citons l’association Solexine, ou bien les Ateliers Tous Publics de l’ESAD, mais cela existe sûrement aussi dans le cadre musical. Il faut compléter ces actions par davantage d’intervention dans les quartiers, montrant aux gens ce que peuvent faire d’autres gens au départ pas mieux lotis qu’eux.
Le souci d’excellence
Il va de soi que tout élan créatif s’accompagne d’un souci d’excellence, on pourrait même dire (le mot « excellence » ayant été tellement galvaudé)… un souci de perfection. C’est le maximum de qualité qui est visé, non pas en tant que « performance » qu’il faudrait admirer au même titre qu’un saut en hauteur ou une victoire sur 100 mètres, mais en tant qu’état que tout créateur et tout exécutant visent à atteindre. Ce n’est pas la performance individuelle d’un jour ou d’un soir, celle qui permettra de faire briller telle ou telle marque d’équipement, qui est visée, c’est un degré de sérénité, de foi dans l’obtention possible d’un certain absolu à l’échelle humaine. Ce qui explique que la présence des œuvres soit si déterminante : nous en revenons à la place des bibliothèques, celles dont Kamel Daoud dit qu’elles sont le remède humain aux temples, mosquées et synagogues, palais du Peuple et autres totalitarismes
(à suivre…)